Généralités

L’amyloïdose rénale est une maladie génétique, c’est à dire une maladie entraînée par un gène défectueux dont l’origine vraisemblable est une mutation.
Un gène muté se transmet aux descendants de l’individu et s’il présente un avantage pour l’espèce, il pourra par le jeu de la sélection naturelle être favorisé et finalement être multiplié de façon importante.

Dans le cas de l’élevage, que ce soit celui des animaux de rente ou celui des animaux de compagnie, c’est l’éleveur qui se substitue à la sélection naturelle et qui va favoriser la multiplication des gènes qui présentent un avantage.
Il suffit de penser à la diversité des races de chien ou de chats pour s’en convaincre.

Récemment, une macromutation spectaculaire a donné naissance à une nouvelle race de chats : le Munchkin, dont les pattes courtes façon Teckel sont déterminées par un gène dominant, ce qui est vraiment une aubaine pour les éleveurs !

Le plus souvent les caractères qu’on cherche à favoriser sont déterminés par des gènes récessifs et il est nécessaire de pratiquer la consanguinité à haute dose pour fixer ces caractères.
C’est le cas des races nues ou presque nues comme le Rex Devon ou le Rex Cornish, par exemple.
Malheureusement, ce faisant on concentre également d’autres gènes qui seraient probablement passés inaperçus dans les conditions naturelles.

C’est le cas de l’amyloïdose rénale chez l’abyssin. Et du fait du mode d’évolution de la maladie et des difficultés de son diagnostic, c’est une maladie qui a été trop longtemps sous-estimée, voire délibérément ignorée par des éleveurs peu compétents ou peu scrupuleux.

Et aujourd’hui le problème se pose de façon assez dramatique étant donné le nombre de lignées affectées.

Mode de transmission

A l’heure actuelle on peut dire que le mode de transmission de l’amyloïdose rénale chez le chat Abyssin est autosomal récessif.
Autosomal voulant dire que le gène n’est pas porté par un chromosome sexuel et récessif signifiant que le gène doit être présent à l’état homozygote pour s’exprimer.
Nous conseillons vivement au lecteur non familier de ces notions de lire les rappels de génétique, qui ne sont que les notions de base de la génétique mendélienne.

En clair, si l’on désigne par A et a les deux allèles (les deux versions) du gène en cause, A étant l’allèle naturel n’entraînant par la maladie et a étant le gène de l’amyloïdose rénale, les chats qui meurent d’amyloïdose rénale sont nécessairement homozygotes, leur génotype étant aa.

Parmi les chats qui ne meurent pas d’amyloïdose rénale, nous aurons soit des chats sains AA, soit des chats hétérozygotes Aa, que nous appellerons des porteurs.
Le tableau ci-dessous résume ces notions.

Génotype Phénotype Dénomination
AA Pas d’amyloïdose rénale Chat sain
Aa Pas d’amyloïdose rénale Chat porteur
aa Développera une amyloïdose rénale Chat homozygote

Pour illustrer tout ceci, nous présentons ci-dessous le pedigree de Vanguard’s Reveler, un abyssin célèbre mort d’amyloïdose rénale.
Ce pedigree a surtout pour intérêt de montrer que son père, Jack Daniels, l’abyssin le plus célèbre peut-être, un chat qui a vécu une belle et longue vie de chat puisqu’il est mort récemment à l’âge de 18 ans, après avoir sailli un très grand nombre de femelles et produit un nombre encore plus grand de descendants, était hélas un porteur sain.

Son nom se retrouve dans pratiquement toutes les lignées actuelles, en remontant quelque peu les générations.

Sunnerise’s Beechnut of Badfinger
Badfinger’s Bumblebee of Catknapp
Nepenthes Tquilla of Badfinger
Irish Hill’s Meg of Cinna of Chandelle
Nepenthes Dubonnet
Nepenthes Lalita of Weslyn

Les noms figurant en rouge sont ceux des chats morts d’amyloïdose rénale.

On voit que deux chats apparemment sains comme Jack Daniels et Vanguard’s Felicia peuvent donner naissance à des chats qui vont développer une amyloïdose rénale : ce sont des porteurs.
Les proportions statistiques données par la génétique mendélienne dans le cas d’un croisement de deux hétérozygotes indiquent 1/4, 1/2 et 1/4 : c’est à dire qu’un tel croisement aboutit en théorie à 25% d’homozygotes.

Il est intéressant de remarquer aussi que le grand-père de Jack Daniels est mort d’amyloïdose, ce qui veut dire que le père de Jack Daniels était obligatoirement porteur, et que, en ne considérant que le gène transmis par son père, Jack Daniels avait une chance sur deux d’être porteur à son tour.

Finalement, on peut se rendre compte assez facilement que le mariage de Jack Daniels avec Vanguard’s Felicia était un mariage à haut risque.
En effet croiser un chat porteur comme Vanguard’s Felicia avec un chat porteur à 50% comme Jack Daniels se traduit par un pourcentage de 12,5% d’homozygotes dans la descendance (la moitié de la proportion obtenue en croisant deux porteurs).

Bien sûr, il est plus facile de faire ce genre de calculs après coup et en ayant toutes ces informations. Un abyssin homozygote meurt en moyenne à l’âge de cinq ans, mais cet âge peut varier entre un et dix ans. Pour savoir que Felicia était porteuse il fallait que sa mère soit morte et que l’on ait diagnostiqué l’amyloïdose.

Cependant, à l’heure actuelle, pour peu que tous les éleveurs concernés par le problème, c’est à dire ceux qui ne veulent plus que les chats meurent si jeunes, décident de mettre un maximum d’informations en commun, il est possible d’évaluer les risques et d’oeuvrer pour éviter de faire naître des chats qui sont des morts en sursis, et à terme, de réduire voire d’éliminer le gène des lignées.

Discussion

En réalité, les choses ne sont pas si simples et la question du mode de transmission est encore discutée.
En effet il semble que les proportions mendéliennes ne soient pas respectées totalement. La proportion classique 1/4 1/2 1/4 des descendants de deux hétérozygotes (deux porteurs sains) n’est pas complètement vérifiée : au lieu d’obtenir 1/4 de chats homozygotes, la proportion observée est inférieure, se situant plutôt entre 1/6 et 1/8.

Ce qui laisse à penser que d’autres facteurs interviendraient dans le développement de la maladie, des facteurs environnementaux (stress d’élevage, pathologies intercurrentes, etc.) et peut-être également des facteurs génétiques tels que l’intervention d’un gène potentialisateur par exemple.

Signalons ici que la thèse d’une transmission autosomale dominante à pénétrance incomplète a parfois été évoquée.
Qu’est ce que cela signifie ? Que le gène, dominant, s’exprimerait donc chez les hétérozygotes mais pas tout le temps. C’est à dire qu’un animal simplement porteur pourrait cependant développer une amyloïdose en fonction d’autres facteurs qui restent encore à déterminer.

A titre personnel, je n’ai connaissance d’aucune publication ou communication en mesure d’étayer cette thèse, c’est à dire d’apporter un commencement de preuve ou de démonstration. Par contre, l’analyse des pedigrees fait nettement ressortir le mécanisme de la transmission autosomale récessive (je ne parle pas de l’analyse d’un ou deux pedigrees).

D’ailleurs, il existe un moyen « simple » de vérifier cette thèse, c’est d’étudier la descendance de deux chats morts d’amyloïdose rénale.
En prenant l’hypothèse d’une transmission autosomale dominante ( chacun des parents est donc soit homozygote vis à vis de l’amyloïdose, soit hétérozygote) on devrait observer 6,25% de descendants qui ne possèdent pas le gène.
C’est à dire que dans l’hypothèse d’une pénétrance incomplète, 6,25% doit représenter le pourcentage minimal (on serait alors dans le cas d’une dominance complète) de descendants vivants.

En définitive, nous pensons que la transmission autosomale récessive est l’hypothèse de travail à retenir et ce pour plusieurs raisons :

  • tout d’abord c’est également le mode de transmission qui prévaut dans les autres espèces concernées : c’est le cas notamment de l’homme avec la FMF (Fièvre Méditerranéenne Familiale) et le chat abyssin a pu être proposé comme modèle pour cette amyloïdose rénale humaine.
  • c’est également le mode de transmission de l’amyloïdose rénale chez le chien Shar Peï.
    Pourquoi faudrait-il que le mode de transmission soit différent chez l’abyssin, alors que la séquence primaire des acides aminés du précurseur de la substance amyloïde présente de nombreuses zones communes entre les trois espèces citées, montrant par là que les mêmes gènes sont vraisemblablement en cause.
  • La dernière raison c’est que la transmission récessive pure est l’hypothèse de travail qui implique pour les éleveurs une sorte de principe de précaution puisque la réalité est un peu moins noire que la théorie.
    C’est de cette façon, en s’appuyant sur des bases rigoureuses et non en se raccrochant à des faux semblants, qu’il est possible de mener une action positive et construite contre l’amyloïdose.